Rechercher le joli son sans « poéter » plus haut que son luth !
Telle pourrait-être notre devise qui dérive d’une expression française attestée dès 1640, ou sous une autre formulation, « faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux ».
Si nous sommes passionnés par la musique de l’époque baroque, notre motivation première n’est pas pour autant la recherche puriste d’une interprétation authentique, vaste polémique nécessairement sujette à controverses en l’absence de documents sonores d’époque, et en conséquence de quoi, on peut entendre tout et son contraire…
En effet, ce qu’il est convenu d’appeler interprétation baroque aujourd’hui correspond à une esthétique incontestablement plus juste, appuyée sur des recherches musicologiques fondées, mais dont la réalité audible n’est en fait rien d’autre que la traduction sonore d’une interprétation de style en perpétuelle évolution, en particulier depuis les dernières décennies du 20ème siècle.
Bien que cette traduction sonore se base sur ce que nous apprennent les traités d’époque, la peinture et les récits historiques, la vérité sonore reste présumée et ne saurait être figée car par essence même, la musique est intemporelle et n’a de réalité que celle donnée par ceux qui l’interprètent ; si nous sommes séduits par une interprétation, c’est d’abord parce que nous sommes sensibles à l’émotion musicale qu’elle suscite, et n’est-ce pas là le but essentiel de la musique ? C’est en tous cas celui que nous poursuivons.
« Il y a en art ni passé, ni futur, l’art qui n’est pas dans le présent ne sera jamais »
Pablo Picasso
Nous restons très prudents par rapport aux règles de style et d’interprétation dont nous laissons aux théoriciens le soin de polémiquer sur ce qu’il convient de faire ou de proscrire, tant il est aisé de trouver dans les traités d’époque nombre d’avis contradictoires, comme quoi, les anciens érudits n’étaient déjà pas d’accord…
Grâce aux précurseurs en la matière, la musique baroque a acquis aujourd’hui ses lettres de noblesse à l’égal de la musique dite classique des 19ème et 20ème siècles, mais le revers de la médaille est qu’elle risque également d’évoluer vers un standard; ainsi, la critique est féroce envers les baroqueux dont les détracteurs dénoncent le dictat de certains « spécialistes » opportunistes comme une imposture, et dont la conséquence jette le discrédit sur la musique baroque qui ne pourrait être correctement interprétée que dans le respect des dogmes d’une élite auto proclamée d’initiés.
En vérité, le mouvement baroque artistique se caractérise par l’exubérance et le bizarre, l’exagération des contrastes et du mouvement, l’emphase des effets dramatiques; cette liberté d’expression débridée traduit la quête d’une esthétique fortement émotionnelle, ce qui est essentiel à nos oreilles à travers la musique et ce qui se joue bien des règles…Cependant, il n’est pas question de les ignorer, mais à chacun de les interpréter et de les appliquer à bon escient selon sa propre sensibilité.
Il nous appartient de faire vivre et non revivre la musique ancienne qui n’est pas une musique de musée mais qui est paradoxalement très actuelle, ne serait-ce que par le simple fait qu’elle ne s’interprète pas telle qu’elle est écrite et que bien souvent, l’orchestration est incomplète et l’instrumentation est laissée libre ; le champ des possibles est extrêmement vaste, ce qui laisse le libre cours aux créations audacieuses des plus réussies comme des plus discutables, cédant au prétexte de cette liberté sans retenue qui « autorise » de revisiter le répertoire et d’oser les contraires; ainsi observe-t-on des instrumentations conventionnelles et d’autres improbables, des interprétations historiquement informées et une surenchère de mises en scène anachroniques à qui sera la plus déjantée…
« L’époque baroque a tenté de dire un monde où tous les contraires seraient harmonieusement possibles. »
Philippe Beaussant
Nous n’adhérons pas au débat du bien fondé des instruments dits d’époque (plus exactement copies d’anciens) par rapport aux instruments modernes qui sont en fait le fruit de l’évolution des anciens ; il est insensé de renier d’emblée quatre siècles de perfectionnements techniques ou de crier ô sacrilège quant à l’utilisation d’instruments modernes, tout comme de ne pas appréhender la sonorité des instruments de l’époque et d’ignorer leurs spécificités ; avant tout, c’est le style qui édicte le jeu, et sur ce point, l’usage des instruments d’époque peut s’avérer tout aussi superbe que peu convaincant, tout comme il peut en être de même avec des instruments modernes…
Notre répertoire se compose d’oeuvres du XVIIe et XVIIIe, et plus particulièrement de pièces moins connues ou atypiques; nous recherchons des combinaisons sonores originales et nous proposons des interprétations mêlant instrumentations d’époque et moderne; en cela, nous ne sommes aucunement novateurs car à l’époque baroque, une grande liberté d’instrumentation était laissée aux exécutants comme cela était souvent précisé dans les manuscrits : on jouait en fait avec les instruments dont on disposait…
Mais alors, est-ce à dire que tout est permis dans la musique baroque puisqu’elle est par essence singulière, excentrique, audacieuse et que l’on ne connaîtra jamais son exacte vérité sonore ?
Certainement pas ! La musique ancienne n’en est pas moins très exigeante et il serait vain de croire qu’elle est synonyme d’une certaine facilité ; il n’y a pas une interprétation mais une pluralité et c’est au musicien qu’il appartient de bâtir la sienne à condition d’inscrire cette liberté dans le respect des codes de la pratique de l’époque dont les théoriciens, malgré leurs divergences, étaient tous unanimes sur un point :
La musique baroque est une musique dynamique qui obéit aux seules règles édictées par le « bon goût », seul critère intemporel pour exprimer un discours musical vivant et sensible.